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La prévention est une mission constitutionnelle qui incombe à l’Etat. La nouvelle loi et le centre de compétences prévu en fixeront les conditions-cadres.

Édition n° 79
Fév.. 2010
Loi fédérale sur la prévention

Débat entre Ursula Zybach et Fridolin Marty. Si Ursula Zybach (Ligue suisse contre le cancer), et Fridolin Marty (économiesuisse) s’accordent sur l’importance de la prévention, leurs avis divergent quant à la loi sur la prévention. Pour Fridolin Marty, la loi est pour l’essentiel conçue autour d’un institut élitaire peu apte à résoudre les problèmes. Pour Ursula Zybach au contraire, la loi comble enfin une grande lacune dans la politique suisse de santé.

spectra: Est-il judicieux d’investir dans la prévention et, dans l’affirmative, qui doit le faire?

Marty: Fondamentalement oui, c’est judicieux, car les mesures préventives peuvent avoir, dans l’ensemble, des effets positifs, en partie supérieurs à ceux des mesures curatives, notamment lorsqu’il s’agit d’endiguer ou d’éradiquer des maladies chroniques. Par ailleurs, les réductions des coûts sociaux bénéficient financièrement à divers acteurs du secteur de la santé, comme les assureurs ou l’Etat et, bien entendu, aux individus aussi. La question est donc, qui doit faire de la prévention, et où? A mon sens, l’Etat ne devrait s’engager que de manière subsidiaire dans le domaine de la prévention.
Zybach: Je suis heureuse de constater que nous sommes d’accord sur cette question fondamentale. De nombreuses études démontrent sans ambigüité l’efficacité de la prévention. L’Etat en porte une grande responsabilité, car la Constitution fédérale lui dicte de préserver la santé de sa population. Or, fait très étonnant, il n’existait à ce jour aucune loi ou ordonnance pour les maladies non transmissibles et particulièrement dangereuses telles que le cancer ou les maladies circulatoires qui touchent une grande partie de la population. Je suis très satisfaite que l’on veuille maintenant combler cette lacune.
Marty: Et voici notre premier désaccord. Certes, l’Etat doit assumer certaines tâches dans le domaine de la prévention, notamment des mesures liées aux maladies transmissibles, comme la vaccination et la mise à disposition d’une infrastructure visant à maintenir la santé.

Dans quelle mesure votre avis diverge-t-il de celui de Madame Zybach?

Marty: Elle a dit que l’Etat est responsable de la prévention. Pour moi, cela va trop loin. Je suis convaincu que, justement dans le cas des maladies non transmissibles, les initiatives privées sont beaucoup plus efficaces, à l’instar de la promotion de la santé en entreprise. C’est essentiel.

«Nous devons rendre nos connaissances accessibles à la population, lui offrir des structures permettant un maximum de joie de vivre et de qualité de vie.»
Ursula Zybach

L’Etat doit uniquement définir quelques conditions-cadres et fixer un certain nombre d’incitations et l’affaire est entendue. Les pupitres ergonomiques et les corbeilles de fruits arrivent dans les bureaux…

Où l’Etat doit-il fondamentalement s’abstenir?

Marty: En appliquant des moyens raisonnables, l’influence de l’Etat sur les maladies non transmissibles et leurs facteurs de risque reste faible. Il est, par exemple, très difficile de modifier le style de vie des personnes, comme leurs habitudes alimentaires ou en matière d’activité physique.

Nous avons donc le droit d’adopter, par exemple, une alimentation malsaine

Marty: Absolument. Toute autre conception serait une vision d’horreur totalitaire.
Zybach: Le manque d’activité physique, une alimentation déséquilibrée, une consommation d’alcool excessive et le tabagisme génèrent chaque année en Suisse des coûts à hauteur de 20 milliards de francs. Il n’est donc pas judicieux d’exclure les maladies non transmissibles. La loi sur la prévention est une loi-cadre, ni restrictive ni prescriptive en matière de comportement. Mais nous devons rendre nos connaissances accessibles à la population, lui offrir des structures permettant un maximum de joie de vivre et de qualité de vie. Ce n’est pas juste une affaire privée.
Marty: C’est vrai qu’il appartient à l’Etat de collecter des données et de diffuser des informations. Cela fait d’ailleurs partie de la prévention. Mais je suis contre les ingérences dans la vie privée. Augmentons la liberté d’action dans l’assurance de base. Pensons des règles de LAMal intelligentes, incitant les assureurs maladie à agir au niveau de la prévention, comme la Suva aujourd’hui. Vous dites que l’Etat devrait résoudre un problème qui est à vrai dire celui des assureurs et des assurés. Mon approche vient du bas. La prévention doit commencer là où se trouvent les problèmes. Au niveau de l’individu, de la famille, de l’association, puis remonter au niveau des communes, des cantons jusqu’à l’Etat.

Quelle devrait être la répartition des tâches entre l’Etat et les cantons?

Marty: Il n’y a rien à redire sur la souveraineté cantonale en matière de santé. Mais je vois aussi, bien sûr, que le fédéralisme a un coût – peut-être trop élevé dans certains domaines. Les tâches de l’Etat concernent les maladies transmissibles, les récoltes de données et les objectifs. La mise en œuvre appartient aux seuls cantons ou privés avec des mandats de prestations.
Zybach: C’est aussi ce qui est prévu.
Marty: Oui, mais en partie seulement. Le futur Institut sera un monstre qui aura déjà fort à faire avec lui-même.
Zybach: Il n’est pas question de créer un monstre – les ressources personnelles et financières existant à ce jour seront réunies pour créer un centre de compétences qui pourra s’occuper plus efficacement qu’aujourd’hui de prévention et de promotion de la santé.

En tant qu’économiste, vous devriez plutôt cautionner les tendances à la rationalisation Monsieur Marty. Vous ne pouvez pas souhaiter que chaque canton réinvente la roue.

Marty: Vous avez raison. Le transfert de connaissances est une tâche de l’Etat. Mais une société ne doit pas fonctionner comme une entreprise. Le fédéralisme a un prix. Et là où ce prix est trop élevé, il faut pouvoir constituer de plus grandes entités. Mais le fédéralisme offre aussi bien des avantages. Cela a à faire avec l’identité, et l’identité est aussi ce qui maintient les gens en bonne santé.

Et vous Madame Zybach, quelle est votre vision de la répartition des tâches?

Zybach: La loi sur la prévention est vraiment une loi-cadre, c’est-à-dire qu’elle contient les aspects que la Confédération peut régler. Le reste demeure inchangé.

«Je suis contre les ingérences dans la vie privée.»
Fridolin Marty

Je salue la représentation des cantons au conseil de l’Institut, ce qui fournira une bonne vision pour convenir d’objectifs de prévention et de promotion de la santé valables pour l’ensemble de la Suisse et pour les mettre en œuvre. Cette vue générale manque aujourd’hui, faute de recul suffisant.

Monsieur Marty, quel serait votre contre-proposition à l’Institut pour la prévention? Par exemple, comment l’Etat peut-il transmettre un savoir si ce n’est par le biais d’un institut?

Marty: Je suis toujours très réticent devant la création d’institutions visant à pallier une mauvaise gestion. Je conserverais l’actuelle Promotion Santé Suisse qui regroupe toutes les parties prenantes, ce qui n’est pas le cas avec le conseil de l’Institut prévu. Ce conseil offrira neuf sièges, trois pour les cantons, un pour les assureurs et les cinq sièges restants pour «des supporters de la prévention» librement choisis si vous me permettez l’expression. Ce seront très certainement des personnes avisées, mais elles auront toujours la majorité, puisque le résultat des votes sera, en cas de doute, de cinq contre quatre.

«Nous ne considérons pas l’Institut comme sacro-saint, l’essentiel est de garantir la coordination nationale.»
Ursula Zybach

Je suis contre le fait que des experts retirés d’ordinaire dans leur tour d’ivoire dictent ce qu’il faut faire. L’approche de Promotion Santé Suisse est tendanciellement exacte, même si elle n’est pas parfaite. En effet, la fondation peut faire ce qu’elle veut avec le prélèvement obligatoire de deux francs quarante des assureurs, et décider librement si elle veut faire quelque chose elle-même ou octroyer des fonds à l’extérieur. Le résultat est, bien sûr, que Promotion Santé Suisse est en croissance constante. Mais l’Institut fera exactement la même chose. Il préfèrera garder les fonds pour lui plutôt que les donner à d’autres.

Madame Zybach, quelle est votre position face à l’Institut?

Zybach: Les débats des derniers mois ont montré que l’Institut constitue un gros problème. Il faut donc absolument réfléchir soigneusement à la question et voir s’il n’existe pas de solutions plus pertinentes. On ne peut pas simplement laisser courir tous les anciens programmes, conserver Promotion Santé Suisse et le Fonds de prévention du tabagisme etc. C’est une hérésie économique. Nous serions prêts à soutenir d’autres solutions qui seraient mieux acceptées. Il existe un large consensus sur l‘importance de la prévention. Il ne faut pas mettre ce consensus en péril. Nous ne considérons pas l’Institut comme sacro-saint, l’essentiel est de garantir la coordination nationale.

Vous craignez un échec à cause de l’Institut?

Zybach: Oui, et il faut absolument l’éviter. Je suis convaincue que l’on trouvera de bonnes solutions. Dans le fond, le Parlement peut aussi décider de faire l’impasse sur l’Institut. Pour moi, l’Institut reste une bonne solution, même s’il octroie lui-même les fonds et conduit des projets, ce qui est sans doute son seul point faible.

Monsieur Marty, êtes-vous aussi en faveur d’un centre de compétences?

Marty: Bien sûr que la Confédération a besoin d’un service spécialisé, quelle que soit sa nature. Mais l’OFSP dispose déjà d’un département «Prévention» qui pourrait assumer de très nombreuses missions de coordination.

Accepteriez-vous le projet sans l’Institut?

Marty: Non, pas cette version concrète. Il faudrait changer encore bien des choses. Si l’on enlève l’Institut de ce projet, on n’a plus grand-chose. Il reste encore de très nombreux problèmes à résoudre. Tout le projet tourne autour du seul Institut, c’est bien là mon principal reproche.

«Une vue générale manque aujourd’hui, faute de recul suffisant.»
Ursula Zybach

Zybach: Je ne trouve pas. En revanche, j’ai parfois l’impression que ce sont les arguments des détracteurs qui sont bâtis autour de l’Institut. Pour moi, l’Institut est simplement l’unité d’organisation inhérente à la loi qui développe des solutions et les met en œuvre.

La loi sur la prévention pourrait entraîner un «coup de balai». Y a-t-il des résistances de la part d’ONG dans le domaine de la prévention qui craignent pour leur existence?

Zybach: Telles que je connais ces organisations, elles ne mettront pas leurs craintes au premier plan et ne défendront pas leur petit territoire, mais se mettront bien au contraire au service des objectifs nationaux et du professionnalisme.

«L’Etat doit uniquement définir quelques conditions-cadres et fixer un certain nombre d’incitations et l’affaire est entendue.»
Fridolin Marty

En outre, la situation économique change. Les dons et les subventions de la Confédération pourraient reculer et les mandats de prestations être résiliés. Ce sont surtout les plus petites organisations qui auront davantage de peine ces prochaines années à conduire seules leurs activités.

Jusqu’à quel point peut-on impliquer les assureurs maladie dans la prévention?

Marty: Il faudrait les y impliquer mais pas sans leur donner davantage de marge de manœuvre. Ils ne peuvent pas figurer simultanément comme rembourseurs de frais et faire aussi de la prévention. Les assureurs maladie ont besoin de plus de liberté, comme la Suva. Ils disposent d’un très grand savoir-faire en matière de potentiel d’économie, ainsi que du meilleur matériel de données. Mais ils sont trop peu impliqués dans la loi. La relation entre l’assurance de base et la prévention est à peine décrite. C’est un grand problème de ce projet.
Zybach: Pour moi, la libre décision des assurances pose problème, car ce n’est pas leur argent, mais les primes que nous payons qui sont utilisées pour – disons-le ainsi – une combinaison de prévention, promotion de la santé et de marketing. Je ne veux rien insinuer. Il existe de nombreux projets intéressants et valables. Mais souvent, ce sont des projets isolés qui apportent peu à l’égalité des chances ou qui changent peu de choses.

Il faudrait donc éviter un patch­work d’initiatives. Mais c’est exactement ce que fait l’économie aussi. Comment l’impliquer elle aussi?

Zybach: Il y a de bons projets. Mais nombre d’entre eux ne sont pas suffisamment durables ou commencent au mauvais endroit, à savoir chez les cadres et non chez les collaborateurs moins qualifiés. Ce qui serait vraiment utile serait par exemple un salaire minimum afin que nous n’ayons plus de working poor. Ce serait plus efficace que les buffets de fruits ou davantage de pupitres ergonomiques. Plus la fourchette des revenus est grande dans un pays, plus les problèmes de santé sont grands, c’est prouvé. Il s’agit aussi de savoir comment maintenir des personnes malades dans le processus de travail pour éviter qu’elles ne se retrouvent dans le cycle de l’AI. Ce sont autant de questions qui concernent l’économie et qui concernent vraiment la racine du problème.

«A mon sens, l’Etat ne devrait s’engager que de manière subsidiaire dans le domaine de la prévention.»
Fridolin Marty

Marty: Imposer des salaires plus élevés serait contreproductif car les personnes peu qualifiées ne seraient plus engagées, étant trop chères. Donc, cela augmenterait le chômage qui est une des pires choses pour la santé. Ce type de mesures me laisse sceptique. L’important est que l’économie aille bien, que la prospérité croisse, et tout le monde ira mieux. La fourchette est peut-être large, mais les personnes du bas de l’échelle ont malgré tout des revenus raisonnables et peuvent s’offrir les cinq fruits et légumes par jour préconisés par les experts de la prévention.

Quels sont vos trois arguments principaux pour ou contre la loi sur la prévention?

Marty: Le projet soulève de nombreux problèmes, dont le plus grand est l’Institut. Ce sera un monstre, une tour d’ivoire qui ne contribuera en rien à résoudre les problèmes des petites gens. Ensuite, la loi est construite autour de l’Institut. Si on l’enlève, il ne reste pas grand-chose. La loi ne couvre qu’une petite partie de la prévention et de la promotion de la santé de la Confédération. Quant à la nouvelle coordination, elle ne concerne que deux sources de financement de la prévention au niveau fédéral, le prélèvement LAMal et le Fonds pour le tabagisme. La loi dont l’un des objectifs serait de garantir la coordination globale, n’aborde pas les autres points.
Zybach: Nous avons besoin d’une loi sur la prévention parce que l’Etat doit assurer la protection sanitaire de sa population. C’est la première fois que nous avons la chance de réunir dans une stratégie nationale les différentes forces de prévention et de promotion de la santé aujourd’hui dispersées en Suisse et de lancer des programmes durables plus efficaces qu’à présent. Nous pourrions, à moindre coût, accroître l’égalité des chances et fournir ainsi une contribution contre l’augmentation permanente des coûts pharaoniques de la santé. Seul l’Etat peut assumer cette immense tâche, pas une caisse-maladie, pas une fondation ni une entreprise privée.

Nos interlocuteurs

Ursula Zybach est responsable du secteur des Campagnes de prévention auprès de la Ligue Suisse contre le cancer, et présidente de Santé publique Suisse, le réseau national des professionnels de santé publique. Elle est membre du comité de l’alliance «Une Suisse en santé» qui s’engage pour un renforcement de la prévention et de la promotion de la santé en Suisse et pour la création d’une loi de prévention au niveau fédéral.

Fridolin Marty est économiste en santé et responsable suppléant du domaine Politique économique générale et formation auprès d’economiesuisse, la plus grande fédération d’entreprises suisses.

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